Bienvenue au village

Publié le : 17 juillet 2019
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En France, tout enfant se retrouvant seul peut être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, et c’est également le cas pour les enfants étrangers arrivés en France sans leur famille. Le terme administratif utilisé est alors celui de mineur non accompagné (MNA). En Bretagne, le destin de ces jeunes est confié à l'Armée du Salut. Reportage dans un village d’Ille-et-Vilaine, où une dizaine de jeunes de 14 à 16 ans accueillis par l'Armée du Salut retrouvent le chemin de l’école et l’envie de s’intégrer.

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MNA Bretagne Romain Staropoli mars 2019
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Au cœur d’un beau village rural d’Ille-et-Vilaine, une maison de granit a été transformée en centre d’accueil pour des enfants venus seuls de l’étranger et mise à la disposition d’une fondation. Cette jolie maison accueille une dizaine de jeunes que le conseil départemental a reconnus comme mineurs. Ils ont entre 14 et 16 ans et une maturité rare pour des adolescents, doublée d’une soif d’apprendre.

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Déterminés à s’en sortir

Mika est rentré du collège avec deux autres camarades de sa classe de quatrième. Il prend son goûter comme tous les enfants de son âge, puis il fait ses devoirs avec une éducatrice qui lui explique les mots qu’il ne comprend pas et répète avec lui ceux qu’il prononce mal. L’adolescent de 15 ans est visiblement épuisé, il a le dos un peu voûté, le regard légèrement dans le vide. Sarah lui propose de faire une pause, et la réponse jaillit : « Non, je veux continuer, je veux apprendre, c’est important l’école ! » La détermination de Mika est la même que celle de Miran, qui a fui l’Albanie à 14 ans, ou de Salah, jeune Syrien de 16 ans, rescapé du naufrage au cours duquel son frère a péri, le laissant seul. Tous ont en commun d’avoir vécu la violence ou la guerre dans leurs pays d’origine, à un âge où l’on mène normalement une adolescence studieuse et insouciante. Pour Salah, Mika ou Miran, qui n’auraient jamais pensé avoir la chance de retrouver un jour les bancs de l’école après ces longs mois d’exil et d’errance, la République est bien plus qu’un refuge. C’est un nouveau sens à leur vie et la promesse d’un avenir plus prometteur.

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Arrivés au foyer à l’été 2018, tous ont été orientés scolairement en fonction de leur âge, mais aussi de leur connaissance de la langue et de leurs désirs scolaires. Certains ont intégré une classe de soutien pour éviter le décrochage scolaire (MLDS), d’autres ont choisi une formation en alternance pour se préparer à un métier manuel, mais la majorité a tout simplement rejoint les autres élèves du collège local. Emmanuel Lagarde, le principal, explique que leur arrivée en septembre a été l’occasion d’engager des discussions très ouvertes avec les élèves, les enseignants et parfois aussi les parents. « Notre position de départ n’a pas changé : le collège de 150 élèves allait simplement en accueillir huit de plus. Huit étudiants, pas des migrants, avec peut-être certains besoins particuliers, mais comme peuvent en avoir les enfants en famille d’accueil, ni plus ni moins. »

S'intégrer et apprendre

Leur apprentissage est aussi rapide que leur détermination est grande : tous maîtrisaient le français en quelques mois et l’un d’eux a même été choisi pour lire le nom des soldats tués pendant la Grande Guerre lors de la commémoration officielle du 11 Novembre. Le principal doit même parfois les freiner, de peur qu’ils soient blessés par un échec : Issa et Salah, venus de Guinée, voulaient passer le brevet dès cette année, mais ils s’essaieront d’abord au certificat de formation générale, qui les préparera à réussir avec certitude le brevet des collèges, un peu plus tard. Madame Boucher, maire du village, confirme la facilité d’intégration des jeunes gens : « Ils ont connu de telles épreuves pendant l’exil qu’ils sont par nature débrouillards et autonomes, ce qui facilite leurs relations aux autres.

Nous sommes vraiment dans la devise républicaine "Liberté, égalité, fraternité", avec de nombreux habitants qui se sont spontanément portés bénévoles pour des activités de plein air, des sorties culturelles, de l’aide aux devoirs. » Un constat partagé par la boulangère du bourg, Monique, qui se réjouit de les voir savourer ses croissants pour le goûter du mercredi : « Ils sont si polis, et agréables. Partager leur enthousiasme devant une viennoiserie fait chaud au cœur, et les gens qui ont des préjugés devraient réfléchir avant de dire des bêtises. Ce ne sont ni des délinquants ni des envahisseurs, mais des enfants qui ont besoin de se sentir acceptés et compris. »

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Après le parcours du combattant, l’espoir…

Aleks avait 13 ans quand il a fui l’Albanie, sans rien d’autre que son acte de naissance et la photo de sa maman. Il est né dans une famille menacée par la vengeance d’un clan mafieux que son père avait contrarié. Aleks n’avait pas le droit de sortir, même pour aller à l’école. À 13 ans, l’enfant s’est caché dans un camion et a voyagé trois jours, grelottant, sans savoir où il allait arriver. Depuis qu’il est en France, il n’a de cesse d’apprendre le français, en écoutant toutes les conversations, mais surtout en allant à l’école tous les jours. Les garçons dorment dans des chambres de 4 séparées par une cloison. Un luxe pour eux. Cette vie collective leur a aussi redonné le goût de la solidarité et du partage, avec des repas pris ensemble, des tâches ménagères alternées, des soirées animées autour de jeux de société. Adolescents, ils aiment aussi le sport. Presque tous se sont inscrits au club de foot du village, avec des matchs réguliers dans la ville voisine. L’intégration a été immédiate : en se sentant accueillis, ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Leur niveau déjà très bon a contribué à dynamiser l’équipe. Grâce à ces rencontres sportives, ils se sont fait des copains, et certains vont déjà parfois passer le week-end dans une famille. Une solidarité s’est nouée dans le village au fil des mois.

Récemment, une agricultrice a invité les jeunes gens à goûter sa soupe de châtaignes, une de ses spécialités. Touchée par l’un d’eux, qui l’avait aidée à porter ses sacs sur le chemin de sa ferme, elle a voulu leur faire découvrir un produit régional. Salah en sourit encore, malicieux : « Nous sommes habitués à de la nourriture épicée, et le potage nous a semblé bizarre, mais on a tout dévoré juste pour lui faire plaisir. Maintenant, on aime vraiment ça ! » Miran est rentré de son entraînement de football avec une entorse et des béquilles. Une fois soigné, sur le bord du terrain, il a dit à son éducateur qu’il avait envie de rentrer à la maison. L’expression n’avait rien d’anodin et, ce soir-là, c’est vraiment une famille qui a accueilli et entouré le jeune blessé.

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